À Louis, ami essentiel, in memoriam,
et pour Jacqueline, flamme discrète et constante,
que le vent bouscule mais ne souffle pas.
15, RUE DES EPINEAUX, c’est là, dans cette rue étroite dont le nom oscille entre l’instrument de musique oublié et la botanique piquante, que se trouve sa casita (comme il aimait à la nommer), sa maison, dont cet exilé était peu séparable, tant elle fut leur œuvre patiente, à Jacqueline et à lui, autant que leur havre toujours ouvert, et tant elle dessine son portrait.
Pas vraiment une maison stricto sensu, mais rien non plus d’un appartement, si l’on entend par là ces logements où la fonctionnalité a tué l’humanité. Non, c’est le premier étage secret et biscornu d’un vieil hôtel particulier. On y monte par un bel escalier, presque monumental, autour duquel tournent quelques vastes pièces anciennement stuquées, et puis, de pièce en pièce, comme autant de secrets, on redescend par d’étroites marches jusqu’à une petite cour intérieure. Étonnamment, rien n’oppose la majesté de l’entrée à la grâce improvisée et délicieusement rafistolée du reste des lieux. Une même justesse préside à cette savante polyphonie construite par le temps et ses hôtes.
Dans la cour, un cyprès effilé monte vers la lumière. Tout près de lui, un puits profond, frais et sombre; sur ses parois, des fou- gères sur lesquelles Louis veille avec grand soin, avec cette attention qu’il sait que mérite toute forme de vie, et d’abord la plus fragile et la plus inattendue. On le voyait ainsi souvent, penché sur cette verdure, profuse certes, mais dont il savait que la sécheresse de l’été aller la menacer ; penché, émerveillé et anxieux, avec cette même attention qu’il avait pour traduire une tournure singulière, difficile à conduire du russe jusqu’au français, ou pour épouser ces inflexions de la voix, ces quarts de ton de la musique grecque, populaire et traditionnelle, qu’il aimait tant à fredonner.