HITLER ET ISRAËL, ou de la prière

 

« Je n’ai jamais vraiment prié, et je ne sais
vraiment pas ce qu’est la prière ni ce qu’on doit en attendre »

Un étudiant, dans une copie d’examen.

 

I.

19 octobre 1944.

Chère Cynthia[1],

Nous parlions, dans notre dernière lettre, de l’apport d’Israël à l’Antiquité. Nous l’opposions à celui des Grecs, à sa grandeur. Les Grecs admettaient le Pluralisme des cités parmi les hommes, ils écoutaient la voix d’Hector et de Priam. Achille et Priam savaient mêler leurs larmes. Quant à Israël, il se réservait l’Unicité.

Ce rôle particulier du peuple élu, la critique du XIXe siècle le lui a protesté. L’histoire juive en eut les reins brisés. Comment s’y prit-on ? Les prophètes — son quatrième volet —, les universitaires y lurent le christianisme à venir, comme si les trois premiers relataient les annales de tribus nomades de l’Orient adonnées aux mêmes superstitions qu’Edom et l’Égypte.

À nous, la Bible tint un autre langage : au beau milieu du monde et pour l’amour de Dieu Israël encourait la haine universelle plutôt que de pratiquer l’idolâtrie avec les bédouins et les Égyptiens. Abraham, Moïse, les juges et les prophètes étaient autant de phases nécessaires d’un majestueux manège, phases où chacune de ces conceptions partielles d’une même vision fondamentale trouvait de quoi se déployer. Pour nous, cette unicité n’avait rien de si surprenant car nous y percevions quelque similarité avec le manège, avec le cycle propre aux Égyptiens. Au bord du Nil aussi alternaient les dieux d’Un seul et même Firmament — Horus, Râ, Osiris, Aton —, ce qui ne tenait pas du hasard : ils incarnaient bien plutôt les « versants » d’une même expérience fondamentale de la majesté du cosmos.