Non annosa uno quercus deciditur ictu.
« Un vieux chêne ne se laisse pas abattre du premier coup. »
Voilà sereinement achevée la journée de travail. Elle aura duré vingt-trois ans.
Quelques coïncidences.
1. Les dates.
Guido Ceronetti s’est éteint le 13 septembre 2018, dans sa quatre-vingt-douzième année. Cartevive, le périodique de l’Archivio Prezzolini abrité dans la Bibliothèque de Lugano (c’est à cette bibliothèque, du reste, que Ceronetti confia ses archives), lui rend un bref hommage dans son dernier numéro (XXIX, 57, sept. 2018), après l’avoir fait d’une autre manière en éditant, dans son avant-dernière livraison, le catalogue d’une exposition à lui consacrée, accompagné de la reprise de nombreux articles parus dans des quotidiens au cours de sa vie. L’hommage du lendemain de la mort cite un texte très bref, inédit, daté du 29 septembre 1995, « La carne delle lettere non appassisce — eppure è carne » (« La chair des lettres ne flétrit pas — sans cesser d’être chair ») : « J’ai fait mon devoir d’ami : des milliers de lettres envoyées, reçues, peuvent en témoigner. Les lettres conservées, les lettres récupérables, ne forment qu’une petite partie de cet univers timbré. [...] La lettre postale n’est pas encore morte, mais elle est en piteux état, appauvrie. [...] Le téléphone s’est emparé des mots et c’est un échange risqué, cru, et aussi excessivement facile. On ne peut pas travailler sur une pensée téléphonique, ni faire des conjectures sur les intentions : tout est évident, rien n’est allusif. Il n’y a pas de retour possible sur les paroles au téléphone [...] Tout est terrible dans les relations humaines, mais la lettre donne plus de joie qu’elle ne cause de douleur. [...] Si les lettres appartenaient à l’insignifiant, nous n’irions pas débusquer des correspondances : mais nous savons, nous expérimentons que l’essence d’une vie s’y trouve. [...] Il y a des histoires révélées jusque dans les enveloppes, la graphie de l’adresse, les timbres. L’espèce s’éteindra quand tous auront cessé de s’échanger des lettres intimes, de se penser à travers la lettre, de jeter les dés dans l’infini sous forme de boîte aux lettres de l’État. »