IN MEMORIAM

 
(Aux femmes d’Anatolie et d’ailleurs.)

LE soleil s’est levé, toisant le village de son œil furieux. Depuis sa fenêtre elle entend au loin le braiment des ânes qui vont aux champs avec leur bât d’outils et de mangeaille et la pointe de ces maigres fesses d’hommes qui s’apostrophent en chemin.

Une voiture passe : le patron qui part pour la ville vendre les tissus et les tapis dont ils sont si fiers, que l’on fabrique ici depuis tant de générations et qui nourrissent le village mieux que cette terre avare. Hier il a dit à la mère qu’il se passerait du travail d’une famille déshono-rée.

Que vont-ils manger ces gaillards hirsutes qu’elle entend se quereller en bas, ses quatre frères dont les voix sont si dures soudain, acérées d’incompréhensibles éclats ? Ils doivent parler d’elle, qui les a langés autrefois.

Deux mois qu’elle n’est pas sortie, qu’elle vit enfer-mée dans ces murs de torchis zébrés de lézardes, crayeux comme ce ciel qui vous écrase et vous vole votre ombre, ce blanc de l’œil solaire. La seule nuit est celle de son ventre où germe une autre vie.