ASSUJETTIS comme nous consentons de l’être aux préjugés que nous tenons pour autant de bonnes raisons de répondre de nos gestes, et jusqu’à ce que, le temps passant, ces gestes ne nous apparaissent bientôt plus que comme des faits — presque des choses, s’ils n’étaient équivoques —, nous nous empressons de censurer l’équi-voque première et patente d’où sortit, pour la dissimuler elle aussi, l’ère totalitaire.
En matière historique, le manichéisme, qui est le tour d’esprit spon-tané de la paresse et par conséquent le lit préféré des dépressifs idéolo-giques, ne procède guère, comme en matière théologique, par des raison-nements spéculatifs : il doit brasser des faits, du moins se targue-t-il que telle est sa règle. Précisément, une technique efficace de brassage mani-chéen des faits consiste à en barrer ou en aveugler la perception, comme il suffisait de retoucher des photographies sur les volumes des histoires soviétiques de la révolution d’Octobre. Le fait primordial censuré par la plupart des historiens du totalitarisme tient en peu de mots : une bonne moitié, au bas mot, des cadres totalitaires ont d’abord été des révolution-naires, et le cas bien connu de Mussolini ne nous est intelligible qu’une fois admis qu’il ne fut pas exception, mais application d’une règle.