"A DROITE, très nettement, se laissaient voir les monts du Lyonnais ; à gauche, la mer qui baigne Marseille et celle qui bat les remparts d’Aigues-Mortes, dont me séparaient plusieurs jours de marche ; le Rhône lui-même était sous nos yeux. Et comme, en contemplant avec admiration chacun de ces objets, tantôt je savourais la réalité du monde terrestre, tantôt j’élevais mon âme, comme je l’avais fait de mon corps, vers les hauteurs, …je jugeai bon de jeter les yeux sur les Confessions d’Augustin… » (François Pétrarque, Lettres familières, IV, 1, 25-26). Non, décidément, le spectacle des choses n’aura pas longtemps retenu le regard de Pétrarque ; la vérité du monde et sa beauté, c’est dans un livre qu’il va chercher à les découvrir. La critique a depuis longtemps établi que la « lettre du Ventoux », la pièce la plus fameuse sans doute de la correspondance de l’humaniste florentin, n’avait strictement rien à voir avec les car-nets de route d’un pionnier de l’alpinisme, ni même avec la relation de l’expérience d’un intellectuel curieux de pittoresque1. Composé près de vingt ans après l’événement, semé d’erreurs factuelles sans doute volontaires, c’est d’une ascension intérieure que nous parle ce texte. D’un livre l’autre : parti pour vérifier une affirmation contestée de Tite-Live, Pétrarque, au sommet du Ventoux, découvre son âme dans le volume, ouvert au hasard, des Confessions. Obstupui, fateor, « Oui, je restai interdit… » : la révélation bouleversante, elle jaillit de la phrase qui lui tombe sous les yeux, non du panorama grandiose. Et nous réalisons alors que les labeurs de l’expédition, l’âpreté du décor, décrits d’ailleurs de façon assez peu circonstanciée, n’avaient d’autre intention que symbolique.