C’EST en tremblant, je le découvre, qu’on se risque à écrire des vivants. Les humbles artisans héros de mes recherches ont passé il y a cinq siècles. Il faut peiner dans les archives pour en retrouver la trace, et si de certains je ne connais que le nom, d’autres ont emporté le leur, laissant placidement leurs œuvres sans souci de mémoire, certainement parce qu’ils les pensaient liées davantage à Dieu ou aux saints qu’à eux-mêmes. Sans orgueil ils se sont inclinés devant elles que toute leur vie ils avaient, bon an mal an, repoussées d’or. Ils ont comme franchi leur seuil, elles en qui ils reconnaissaient non la seule œuvre de leurs mains, mais la porte du ciel.
Trop habitué, peut-être, à ce flamboiement sourd des retables dans la pénombre des églises, à leur tranquille permanence, je suis parfois resté songeur devant ce volatile papier japon des Ciels et des Vies, si fragile en vérité que j’avais du mal à croire qu’il ait subi l’étreinte de la presse ou bu l’huile comme une encre. Léger papier japon, si peu fait, à l’évidence, pour traverser les siècles ! Pourtant j’entends encore Marjolaine, fière d’une exposition où ses huiles bruissaient de courants d’air : se peut-il que le vent, avec le consentement du peintre, vienne habiter l’œuvre d’art, souffler à travers elle et murmurer, la tournant comme une page, que les instants qu’elle fige sont passibles, loin de l’éternité — de simples prodiges d’équilibre, de brèves hésitations dans la bascule du temps ?