ON enseignait jadis à l’école une histoire de France et même du monde où se mêlaient trois ingrédients : les grands hommes, les dates marquantes et uneimagerie d’Épinal[1]. Mais le corps des historiens, par souci de sérieux et d’objectivité et peut-être aussi de se mettre en avant, a voulu fabriquer une nouvelle histoire en substituant à ce brouet clair une nourriture plus consistante. C’est ainsi que les données économiques et les faits sociologiques l’ont emporté haut la main sur la chronologie politique. Par malheur pour elle, cette histoire à connotation scientifique et qui n’avait plus d’histoires à raconter semble avoir perdu le fil de ses propres idées. Au point qu’une grande confusion règne actuellement sur l’histoire passée et présente. En effet, c’est tout juste si aux yeux du grand nombre, comme d’ailleurs aux yeux des célébrités du sport, de la chanson ou de la politique, le journal télévisé n’incarne pas la stricte vérité, et un film à décors ou à costumes historiques la stricte réalité. La leçon d’objectivité qu’ont voulu administrer les professionnels de l’histoire ayant échoué, il est peut-être encore temps de s’accrocher à l’autre branche de l’alternative en s’adonnant cette fois-ci à une histoire plus subjective. Mais comment mener un projet qui ne ferait plus fond sur des documents ou des monuments, sur des témoignages ou des informations ? Eh bien, en délimitant l’objet historique et en le cantonnant au seul présent, le passé ayant été mis une fois pour toutes de côté. C’est en tant qu’individu participant de plain-pied à l’histoire de sa société que le partisan d’une histoire subjective pourra soumettre à ses contemporains ses modestes propositions ou ses fulgurantes intuitions sur l’allure, le surgissement ou la configuration du présent.