GILBERT Houël (1919-2007) fut premier violon de l’Orchestre National. Bien qu’il ne publiât que secrètement, il fut aussi poète. À travers l’évocation des bois et des rivières de sa Champagne natale, on perçoit l’écho d’un monde profond, secret, où retentit une vie faite de réminiscences. Poésie d’ombre et de lumière, de ciel et de terre unis dans une solitude et une secrète paix préservée en silence. Poésie de joie et de ténèbres mêlées, dans une sensibilité extrême aux parfums de l’air, aux « choses villageoises », aux « saveurs paysannes » : jardins et enclos, messagers d’une joie innombrable de la terre, mais aussi nuit au masque d’ombre, silencieuse et mortelle, « semeuse de sommeil et de néant sans bords ». Quête d’un infini dont la voix résonne « d’une seule note, sans fin, sans musique ».
Les poèmes qui suivent sont tous inédits. Nous remercions Mme Françoise Gaspari-Houël de nous les avoir confiés.
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Où j’ai vécu
C’était oh ce n’était déjà plus le temps
Seulement de longs de très vieux jours
Ils s’appuyaient au mur en silence
Je parlais ils retenaient en eux
L’histoire et la légende unies
D’un monde dont je portais la mémoire
Et qui ne finirait
Qu’avec le dernier souffle exhalé de ma voix.
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Ce temps où je suis
Tour à tour mourant renaissant
À travers le vieux mal d’être
Aveugle enténébré aux traits de feu je vis
Je crie pour cet autre
L’imprescriptible veilleur affleurant
En qui remettre l’esprit
Lui le temps sans passé sans futur
Le calme du jour qui respire.
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Au gué de la fenêtre la lente pluie d’automne s’effile liant ciel et terre de ses flûtes liquides. Comme une mort infiniment ténue ta vie vacille et s’amenuise ; un univers s’éteint ; un autre vient, qui te prend tête et corps ; tu n’es plus qu’une ombre en suspens d’irréalité.
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Voix d’enfance des déversoirs ; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour ; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient.Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.
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