NOTRE CHAMBRE À CETTE HEURE EST PÉTRIE DE MUSIQUE

 

I

NOTRE chambre à cette heure est pétrie de musique,
et le frêne de la cour dispute son ombre à la nuit.
Rien ne survit d’hier — de ses travaux et de ses
rires — dans cette eau d’aujourd’hui qui sans cesse reflue
et isole le monde.
Ce soir, le baiser d’un idiot a bouleversé la nuit aux
yeux révulsés ; la gorge du ciel palpite encore, froissée par
les lèvres du vent.
Si rien ne surgit de nos lenteurs, il nous faudra mourir
à nous-mêmes en ce nouveau matin, comme s’éteint à
son tour le vent dans l’étreinte du jour.
Le souffle court, pourtant, nous avons à vivre encore ;
à puiser dans le temps de quoi faire un aveu, achevant les
fruits amers pour aimer ce qui vient.

Est-on pur quand on a
pour toute confiance
un peu de sel au coeur ?

Sans lire entre tes mains
la promesse ou le signe,
j’imagine nos routes à travers champs,
les effluves de l’air brassé par nos deux voix
au partage du grain comme à celui du fiel

Mon amour

nous mettrons à nos cols
la fleur de nos batailles

et le vin de nos souffles achèvera l’ardeur.