Automne.
I.
PRENDRE l’avion revient aujourd’hui à un long trajet
de métro, avec quelques saccades et des plateauxrepas.
On passe d’un salon à un autre et, plus ça va,
plus les villes ressemblent à des aéroports internationaux.
Décevant d’être trop peu dépaysé : pauvres
Romains qui, partout où ils traînaient leurs sandales,
pouvaient être compris ! Un historien américain avec un
nom de président a parlé du Mare Nostrum comme d’une
première mondialisation. Ce Kennedy n’avait pas tort.
Il y a quelques jours, dans une maison de famille, alors
que je fouillais ces malles en fer du temps des colonies,
que l’on appelait cantines comme pour figurer le gros
gâteau du monde découpé par les puissances occidentales,
je tombai sur des lettres envoyées par mon grandpère
en 1947. Il prenait au Cambodge un poste de procureur
qu’il devait prolonger en Indochine. L’une de ses
lettres racontait son « premier contact avec l’Asie », après
une escale à Djibouti puis une autre à Colombo. Près
d’un mois sur une frégate en compagnie de jeunes militaires,
d’épouses un peu maîtresses et d’administrateurs
portés sur le whisky de cinq heures à la place du thé au
lait. « Nous sommes saturés de cigarettes anglaises », précisait
mon grand-père. Imaginez cette petite foule
d’hommes s’ennuyant comme on savait le faire, et fumant
leurs Camels sans discontinuer… Aujourd’hui, on prend
l’avion, on démolit la planète à coup de réacteurs, mais
on ne fume plus.