… Tananarive…
ÀL’IMAGE de grandes coulées de lave, la ville a
progressivement colonisé les flancs de la colline et
occupe la plaine environnante. Bien peu d’habitats
en briques ou en pierres ; par tradition ces matériaux
inertes furent réservés aux tombeaux. La capitale semble
limitée à de la vie purement matérielle, coupée des
affaires, des événements bruyants du reste du monde,
figée dans sa bruyante pauvreté. Devant une sidérante
marée d’enfants, devant du quasi bidonville ou de l’habitat
colonialiste qui bel et bien fatigue s’il n’est pas déjà
totalement tombé en ruine-dépotoir, ma grimace, celle de
tout l’intérieur du corps, et qui n’avait encore été aussi
douloureuse. Difficile d’être — et si difficile d’être le
simple voyageur flânant dans de telles rues. Défilé,
rumeur incessante des taxis couleur crème, éprouvants
escaliers, grande tension urbaine, chacun vend quelque
chose (la vente paraît être le seul avenir viable), j’en reste
hébété, qui se vend tout même là où l’on pourrait penser
— moi le premier en tout cas — que personne ne passe
jamais. Des enfants sévèrement cabossés par la vie, des
marchands ambulants : linceuls, morceaux de précieux
charbon, oranges jaunes et/ou vertes, dindons, koba
— une pâte de riz et d’arachide sucrée emballée dans des
feuilles de bananier ; ces marchands sont souvent si
jeunes qu’ils me font répéter sans cesse qu’un malgache
sur deux n’est pas âgé de dix ans.