COMME POUR TENTER DE DIRE L’ÊTRE-EN-SUSPENS

 

C’est du poème seul, vécu jusqu’en la ténèbre
désirante de la chair, que nous vient cette aspiration
insensée à un instant qui serait d’éternité.
Instant d’éternité. L’homme qui inscrit ces mots comme
pour envelopper d’une étoffe sans faille la nudité obscène
et déchirée de sa mémoire d’existence tient un
langage qui l’a accompagné jusqu’à faire partie de luimême,
et ainsi jusqu’au silence, depuis qu’il a ouvert
les yeux sur le monde et tout particulièrement sur la
beauté, et depuis que l’expérience, dans toute la variété
de son champ, ne requiert son application d’esprit que
sous le rapport de l’intériorité. Que le souvenir se mêle
au souffle, que la terre et chacun des quelques êtres qui
ont compté et ne cessent de compter dans la vie, se laissent
pleinement respirer et irriguent l’âme comme il
en serait d’un organe d’adoration, alors l’homme,
constamment en quête du sens et de la présence, aspire
à immobiliser la réminiscence, dans l’acte indéfiniment
suspendu d’une contemplation telle que la conscience
de l’intériorité se substituerait à la conscience de la
temporalité.

Or cette instance de suspension dans le flux du temps
eut lieu, en vérité, en une durée infime, sans doute, et
toutefois sans mesure. Et le souvenir que l’homme en
porte, au fond de lui-même, est de ceux, des rares, qui
éclairent tout le reste de l’histoire, presque au point de
lui donner un sens, en tout cas de la rendre supportable.
C’est là un de ces noyaux, d’ordre esthétique, qui fondent,
et jusqu’à l’irradiation, le sentiment métaphysique
de l’existence.