L’AMOUR EST LE LA DE LA VIE DES MORTS

 

JE SUIS submergé, d’autant plus qu’impuissant à me
battre… pour deux !

Pendant qu’elle dort, je la fixe et puis ferme les yeux
essayant de dormir, un tant soit peu, de son sommeil à
elle. La fusion est à ma portée. Ce que je vis là est la vie
de la pensée à l’état pur, sans fioriture aucune, la pensée
vécue.

Je sors de la trop petite chambre.
— Il n’y a pas d’atteinte neurologique, dit-il.
— Et la gorge ?
— Cela va mieux de ce côté-là. On lui a donné du Temesta.
Son foie digère mal. Mais elle finira par y arriver.
— Et les globules blancs ?
— Elle n’en a encore que cinq cents. Il lui en faut quatre
mille.Vingt-trois jours sont nécessaires pour que ça remonte.

Il m’assène ça à la va comme il le sait. Pourquoi ces
pitreries ? Il s’en fout, du moment qu’il fait son boulot.

Je suis absolument seul. Pourtant, il faut tenir.À la limite
je sais que c’est de mon attitude intérieure que dépend sa
guérison. Décidément cette alchimie est incompréhensible.
Sans cesse on revient buter là-dessus sans parvenir à faire
émerger de cette évidence plus qu’une hébétude.

Afin de toujours mieux me ressaisir, je vais à la
fenêtre. Quiète s’il en est, la vie est toujours là dans ce
trop beau quartier. Une femme en vison promène son
chien. Des voitures passent, se traînent au feu rouge.

Elle ronfle plus régulièrement. Et si je la gênais ne
serait-ce qu’en la regardant dormir, lui retirant quelque
chose de sa paix pourtant gagnée de haute lutte ?
Après la neige d’il y a un instant, une déchirure des
nuages s’agrandit. Qu’est-ce qu’on fait, d’un peu de ciel
bleu dans ce cas-là ?