LE LIVRE DES VENTRES ET DE LA SOLITUDE

 

Traduit du roumain par Jan Mysjkin.

 

MAMAN A PEUR de la solitude. Elle me regarde impuissante — même les feuilletons mélos ne la font pas se sentir mieux. Elle me regarde comme une génisse apeurée. Il n’y a pas de raison, je la réconforte, pendant que la solitude arrache un grand lambeau d’elle.Toi, tu n’as pas peur ? me demande-t-elle, les lèvres sanglantes. Non, lui répondé-je. Bien sûr, je mentais, et maman m’a cinglée avec un chardon. Et il était tellement violet, que le soir est tombé tout d’un coup.

*

Plus bas végètent les ultimes pâtures, les landes à foins, les pentes d’herbe qui se noieront dans la rocaille. Que l’on grimpe des deux aux trois mille, et plus s’affirment les espèces, isolées ou par mosaïques. Lueurs dans l’étage minéral, elles piègent encore l’insecte à pollen. Glabres, velues, piquantes, duvetées, elles se disputent le sol ingrat : l’alpe fait naître une lutte des fleurs.

Souvent, ma cuisine se transforme en un théâtre de la cruauté. Ici, il faut fendre les poulets, couper les têtes de poisson et enlever les organes adhérant encore aux parois osseuses. En moi, tout se resserre et se ratatine, mais les mains fouillent continuellement, consciencieusement et un peu absentes, jusqu’à ce qu’elles cessent d’être miennes.