Alice au pays des oreilles

Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas ; accusez-vous vous même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses ; car pour celui qui crée il n’y a pas de pauvreté, pas de lieu pauvre et indifférent.Rainer Maria Rilke, 1903/1929.

 Sous le soleil ardent d’un jeune été, Alice accroche sa bicyclette. Une longue file d’attente. Des femmes, des hommes, quelques enfants. Des chenilles. Des loups. Des ouistitis. Dans sa petite robe à fleurs, Alice vient de franchir le pays des oreilles.

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Peu avant son premier jour de travail, Alice fait une chute en vélo. Double fracture au poignet. La jeune fille se rend à l’agence, un plâtre autour de son bras. Tout le monde compatit. Les chefs comme les collègues. Les demandeurs aussi. À peine arrivée, une demandeuse dit à Alice : « Mangez des noisettes, c’est bon pour les os ! »

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Alice travaille depuis quelques jours au bureau des oreilles et fait déjà d’étranges rencontres. Une petite dame se présente à l’accueil. Tout d’un coup, elle lève son coude et regarde quelque chose qui semble y pendre. Toute son attention se focalise sur cette chose invisible. Alice rit et demande : « Vous enlevez un cheveu ? » La dame murmure : « C’est une araignée ». De ses deux mains, la dame saisit la chose invisible et la porte vers le coin d’un mur, où elle la dépose, avec une précaution extrême. « Comme vous avez été délicate, avec cette araignée ! » s’exclame Alice. Surprise, la dame répond : « C’est vrai ! J’aurais pu l’écraser ! »