Staël les oiseaux.

 


À mes parents, le dialogue du peintre et d’oiseau.
À Bertrand Marchal, le regard porté sur
Parc des Princes.

I.

MARCEL SCHWOB avait aimé traduire le nom de Paolo Uccello. À sa suite, Artaud l’avait baptisé Paul les Oiseaux. Uccello peignait sur les murs de sa maison les animaux que, trop pauvre, il ne pouvait acheter ni nourrir. Il les dessinait par amour des lignes qu’ils portaient en eux, par fascination de celles qu’ils révélaient. Nicolas de Staël avait en permanence le regard tourné vers le ciel, inquiet de saisir la gravité dans un impalpable azur. Il pensait oiseaux plutôt qu’il ne les dessinait. Leur absence dans son œuvre, flagrante, interroge trois fragiles exceptions : Les Mouettes, huile sur toile, et deux esquisses d’oiseau sur papier. Figure de La question du peintre — celle du mouvement et du poids dans l’espace —, l’oiseau n’est pas pour Staël une réalité inaccessible fantasmée, mais il est l’autre : il n’est pas le peintre. « L’homme porte le poids de sa gravitation comme une meule au cou, l’oiseau comme une plume peinte au front », écrivait Saint-John Perse.

Lorsque Nicolas de Staël cherche la familiarité avec le ciel, il parle de ses pieds reliés à la terre. Pour saisir le va-et-vient des nuages, il se « réduit » à ses pieds, il se pense pieds, il prend racine et porte « le poids de sa gravitation comme une meule au cou », « avec l’azur ignorant à ses pieds de cochon». À Olga, il écrit :

Tout d’abord j’ai besoin d’élever mes débats à une altitude unique, ne fût-ce que pour les donner en toute humilité, et cela implique beaucoup de familiarité avec tout ce qui se passe dans le ciel, va-et-vient des nuages, ombres, lumière, composition fantastique, toute simple, des éléments. Bien sûr toujours par rapport à moi, mais ce moi finit surtout par être mes pieds, pour que l’illusion d’être une plante, ou la certitude, en soit plus immédiate.

Ainsi Staël pense-t-il le ciel : immédiatement et en se demandant comment le souffle et la lumière agissent, comment le corps y tient, s’y meut, y gravite. La figure de cette pensée qui court du ciel au corps, c’est l’oiseau. L’oiseau signifie ce mouvement qui porte Staël de la considération du ciel à celle du ciel occupé par une forme.