IL Y A DIFFÉRENTS TYPES D’ÉDITEUR.
Il y a l’éditeur idéologique, qui choisit les livres comme les tesselles d’une mosaïque pour orner la voûte de son « église ». Il regarde la société comme un parent qui a fait fortune à l’étranger. Il y a l’éditeur littéraire, qui, en définitive, ne choisit pas des livres, mais des adjectifs : sa fortune peut être retardée, mais elle est protégée par la police d’assurance qu’on appelle la qualité. (« La reconnaissance d’une œuvre tarde d’autant plus que celle-ci précède son temps », dit Schopenhauer.) Il y a l’éditeur Barnum qui choisit les livres en sautant dans des cercles de feu : il lui faut des best-sellers, et les autres peuvent brûler sur le bûcher. Il vit de cocktails et de chips et raisonne en diamants, comme les rois. Il y a l’éditeur typographe, dont la taille se mesure aux heures d’utilisation de ses machines, coéditions comprises. Il y a l’éditeur libraire, qui, un jour, s’est laissé tenter en publiant les poèmes du directeur de l’école ou un guide de la ville. Ses livres se placeront sous le signe du service public. Il y a l’éditeur héritier, stylé et mélancolique, inévitablement enclin, s’il veut s’en sortir, à être infidèle à ses aïeux : on peut transmettre peu de choses à ses successeurs, et le génie personnel n’en fait pas partie. Il y a l’éditeur encyclopédique, qui forge son idée du monde d’après une usine de préfabriqués : le monde lui convient tel qu’il est, à condition qu’il se laisse classer par ordre alphabétique. Il y a l’éditeur d’intervention d’urgence, comme les pompiers. « L’incendie » n’est pas encore éteint dans les colonnes que paraît le livre documentaire. La compétition avec les journaux donne à cette édition une dimension accordée aux temps bousculés où nous vivons, et demande des prodiges managériaux, qui découvrent à l’arrière des écheveaux de fils comme les appareils radio. Un jeune ingénieur travaillant dans une usine d’équipements de précision pour l’aviation me racontait qu’une fois mis au point un appareil expérimental, on le retrouvait souvent le lendemain en morceaux sur le comptoir : l’avion s’était écrasé. Ainsi des livres d’intervention d’urgence.
Il y a enfin l’éditeur protagoniste.
Qu’est-ce et qu’était-ce qu’un éditeur protagoniste ? Les excès d’évaluation dus à l’enthousiasme, la confiance qui précède le livre, le crédit accordé à l’intuition plus qu’au marketing sont ses points forts et aussi ses points faibles. L’éditeur protagoniste a moins d’empêchements à nourrir de grandes ambitions parce qu’il fait flèche de tout bois, y compris des ambitions d’autrui. Le danger qui le guette tous les jours est celui des ambitions passagères, qui font choisir des idées de comptoir, chargées d’amourpropre, et qui se cristallisent avant la confrontation avec la réalité.