LIRE, DIRE ET VIVRE

JE me rue aujourd’hui vers les dernières pages d’un magni-fique roman américain et, à tout moment, je pense à Marc-André Béra.

Il enseignait l’anglais à trois cents élèves de Propédeutique, dont j’étais. Cela se passait à Lille, il y a plus de cinquante ans, c’est-à-dire dans un autre monde et une autre époque, dans la « province » de la province. C’était sûrement un trou pour les enseignants qu’on y avait nommés, mais c’était aussi l’anti-chambre de Paris, de la Sorbonne. Les universitaires les plus brillants passaient, comme les hirondelles. Ils étaient en général peu attentifs au pesant troupeau que nous formions. Je sortais à peine d’une longue maladie qui avait fait de moi une autodidacte. Je levais les yeux pétrifiée d’admiration, brûlant du désir de m’en-voler un jour. Non pas vers la carrière mais vers le monde lumi-neux qui m’avait aidée à vivre jusque-là. Heureusement, il y eut Marc-André Béra. Un jour — je ne sais plus comment cela se fit

— il m’a offert un long entretien. Ce fut inoubliable. J’avais un viatique.

Marc-André Béra était un homme libre qui, à l’Université, me semblait entouré de fantômes gris et laborieux. Un grand vivant. Il arrivait parfois sortant de la piscine, les cheveux ruisselants. On a peine aujourd’hui à imaginer l’effet produit, la bouffée de grand air qui entrait avec lui.