DIALOGUE ENTRE CARAVAGE ET TIEPOLO

Préambule.

 

LE « Dialogue entre Caravage et Tiepolo » a été publié par Roberto Longhi en novembre 1951 dans la revue Paragone, qu’il avait créée et dirigeait. La note qui accompagne ce texte dans l’édition de ses œuvres choisies (Da Cimabue a Morandi, collection I Meridiani, Milan, Arnoldo Mondadori, 1973) indique que Longhi l’a lu lui-même, avec un ami, à la Radio di Venezia, deux mois auparavant, — et, sans l’avoir vérifié, j’imagine que c’est la partie de Caravage qu’il disait. Caravage, auquel il venait de consacrer au Palais royal de Milan, entre avril et juin de la même année 1951, une grande exposition qui marquait de façon éclatante le renouveau des études sur ce peintre et ses émules ; Caravage, à la monographie duquel il travaillait alors assidûment (elle parut en 1952).

Il est assez étonnant de voir le grand historien de l’art, l’éminent professeur au sommet de sa carrière (il avait reçu en 1950 le Prix du Pré-sident de la République remis par la prestigieuse Accademia dei Lincei) s’amuser ainsi à écrire et à jouer une sorte de sketch radiophonique ; et, plus gravement, à faire une belle entorse à la rigueur de sa discipline en commettant sans vergogne le péché capital d’anachronisme. En outre, il n’est pas sûr que la langue qu’il employait, souvent sophistiquée, tou-jours très écrite, convînt parfaitement à l’exercice. Je crois qu’il se serait moqué et peut-être réjoui de ces réserves. Quoi qu’il en soit, il cédait là à une tradition « littéraire » souvent sensible dans ses ouvrages et essais les plus érudits : celle de mettre en scène les artistes, — ainsi quand il décrit ce que pouvait être une journée entière de la vie de Caravage à Rome ; et, au besoin, de les faire parler, — ainsi quand il imagine une discus-sion entre Masolino et Masaccio sur les échafaudages de la chapelle Brancacci. Derrière l’artiste, Longhi cherche toujours l’homme, et, quoique grand admirateur de Proust, il n’aurait certainement pas sous-crit à la thèse centrale du Contre Sainte-Beuve. Son goût pour l’attri-butionnisme, le plaisir qu’il prend à baptiser des peintres anonymes de noms étranges (le Maître du Bambino vispo, le Maître Esiguo…) témoi-gnent de cette volonté de saisir, à travers un style, le caractère d’un homme. Et il est vrai qu’un chef-d’œuvre tout à fait anonyme laisse vaguement insatisfait. Mais l’histoire de l’art, qui s’attache aux œuvres avant que de s’intéresser aux artistes, ne peut s’attarder longtemps à de telles considérations.