LETTRES À DES ALLEMANDS (I)

 

L’homme est fait de foi ; il est en effet à l’image de ce en quoi il croit.

 

Bahgavad-Gita, Leçon XVII.

 

Lettre à Madame Maria Z. à Lübeck.1

 

[Peu de temps après la défaite de l’Allemagne, l’Office of War Information2 me demanda d’écrire un bref ouvrage à l’adresse des Alle-mands, afin de leur donner une idée de la manière dont les Américains considèrent l’histoire du Nazisme et des crimes qui furent commis au nom de l’Allemagne. Cette tâche s’avérait ardue si je suivais à la lettre la directive que j’avais reçue et si je m’adressais à la masse anonyme des Allemands. Je ne pouvais m’imaginer un seul Allemand lisant trois pages de ce que j’avais à dire : la distance psychologique entre nous était trop grande. C’est ce qui me poussa à adopter la forme d’une lettre, adressée soit à quelqu’un qui existait vraiment, soit à une chimère formée de personnes et d’amis que j’avais effectivement connus dans

l’Allemagne d’avant la guerre. Cette méthode avait ses limites, surtout parce qu’elle me confinait à des gens de ma génération ; mais cette limite avait un certain avantage, en ceci qu’elle me permettait de traiter de faiblesses qui n’étaient pas à l’origine particulièrement national-socialistes. Il est important, tant pour les Allemands que pour les Améri-cains, de réaliser à quelle profondeur plongent les racines du Nazisme allemand ; nous ne devons pas commettre l’erreur de penser une nou-velle fois que nous avons détruit l’arbre quand nous n’avons fait qu’en couper les branches et que le tronc demeure.

De toute évidence, la transformation de l’Allemagne doit être accomplie par les Allemands eux-mêmes. Tout ce que les plus tyran-niques des conquérants pourraient faire serait de les encourager dans ce processus. Parallèlement, nous avons beaucoup à changer dans notre philosophie et dans notre propre mode de vie, afin de ne pas contribuer, par égoïsme et par manque d’égards, sinon par orgueil et par cupidité, à la destruction de l’humanité. Si j’ai parlé avec une franchise impi-toyable des péchés des Allemands, j’ai peut-être partiellement acquis le droit de parler librement, car tout au long de ma vie d’écrivain je me suis adressé, en termes non moins impitoyables, aux péchés que je par-tage avec mes propres compatriotes.]

 

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