UN DOUTE (Première partie)


La télé où je veux
c’est maintenant
ou jamais.
Publicité (janvier 2008)
pour des téléphones portatifs.

AU début d’un beau livre consacré à Marsile Ficin, Raymond Marcel évoquait le point de départ nécessaire à toute renaissance, celui qu’en vérité elle nous semble désigner a posteriori : « Certes, de quelque côté que l’on se tourne en ce monde, l’horizon reste le même, mais l’atmosphère a changé ». Il est difficile de décrire une atmosphère, un changement d’atmo-sphère. Il y va d’une nuance aussi impérieuse qu’insaisissable. Les choses sont en leur place, mais la manière de les habiter s’est transformée. En 1958, l’année où le savant chanoine publiait son livre, ses propos se teintaient d’une nuance particulière, intensi-fiée par le recul du temps.

Ils rendent aujourd’hui un son étrange. Les renaissances que le livre envisageait avant d’aborder l’italienne — la renaissance caro-lingienne, celle du XIIe siècle —, peu s’en faut qu’elles ne se ran-gent dans notre esprit tout à côté de cette cinquième république naissante que l’histoire s’obstine à faire contiguë à notre présent : unie à ces périodes très anciennes pour s’enfermer avec elles dans un passé révolu.

À quoi s’ajoute un élément que Raymond Marcel ne pouvait mesurer (ce n’était pas son propos, et de toute manière on se trouvait, ces années-là, très éloigné encore d’un tel constat, que dressaient peu d’esprits) : ce n’était pas seulement l’atmosphère qui avait changé, on peut même avancer qu’elle n’avait guère changé en 1958, c’était aussi et surtout l’« horizon ». Il avait cessé depuis longtemps d’être « le même ». (Voilà à quoi servent les dates en ce genre de choses : le commencement est déjà puissamment installé.)

« De quelque côté que l’on se tourne en ce monde », fort peu de choses, à l’horizon, gardaient l’identité qui les rendait recon-naissables, si différente que fût devenue l’atmosphère qui les entourait. Le monde des renaissances, celui du IXe siècle, du XIIe, du XVe, restait le même de l’une à l’autre. Rien n’avait assez de puissance pour le changer.

Tout autre, c’est l’évidence, celui qu’ont fait paraître les révo-lutions industrielles et le capitalisme qui leur est lié ; et tout autre, mais cette fois en un sens qui n’a rien de métaphorique, « l’atmo-sphère » dont ils l’ont baigné. Au point que l’idée d’une habita-tion nouvelle perd aujourd’hui toute signification : il y a des chan-gements si importants, si radicaux qu’ils emportent avec eux et le monde et la manière de s’y trouver ; qu’ils interdisent les nuances décisives apportées à la façon de l’habiter ; qu’à vrai dire ils impo-sent sans retour l’atmosphère qui pèse sur un monde irrémé-diable.

*

Je ne prétends pas associer cette année 1958 en France aux caractères définissant habituellement les renaissances. Voilà qui va de soi. Le tournant qui s’y dessine n’a pas la même nature.

Je songe à cette année simplement parce qu’un livre s’y publia, qui proposait de décrire les modes d’apparition et, pour ainsi dire, la consistance d’inflexions inédites dans l’histoire. Or, ces inflexions n’ont plus cours, ou, si elles existent de loin en loin, elles demeurent sans effet. Elles ne transforment rien, ne créent nulle atmosphère nouvelle. On pouvait croire, par exemple, à un changement dans l’ordre politique — mais ce changement res-semble à un épiphénomène griffant à peine une réalité plus têtue. En sorte que c’est un double constat qu’il convient d’établir : d’une part, dans la suite des technicisations toujours plus pous-sées des existences, celui de la permanence puissante et acharnée d’un monde absolument différent de ce qu’il avait été avant l’âge industriel, et donc la primauté définitive de cette matière inédite sur toutes les « atmosphères » qu’on voudra ; et, par ailleurs, celui d’une avancée supplémentaire faite depuis lors vers l’emprise des systèmes et des structures sur la libre disposition de soi-même et la présence naturelle du monde.Avancée si considérable,qu’elle a relégué cette date éloignée de nous d’un demi-siècle seulement dans un passé aussi reculé que les renaissances dont Raymond Marcel nous découvrait les termes. Nous n’y touchons plus, en vérité, que par la soumission des corps et des esprits au système de production dont cette période énonçait les promesses ; un sys-tème qui a su inventer les pouvoirs politiques et les instruments financiers capables de le mener à son accomplissement.

Par rapport à cette pesanteur qui s’est abattue sur « l’hori-zon », il n’est pas jusqu’aux régimes politiques qui n’aient dû voir s’amenuiser leurs différences ; lesquelles continuent d’exister (parfois terriblement), mais comme sur un plan en suspens au-dessus d’un sol devenu identique, également arraisonné par la même puissance de défiguration. Après 1989, par exemple, on découvre de part et d’autre d’un mur la parenté des ravages subis par le visage de la terre, et les effets comparables d’une identité de foi en des systèmes « rationnels » de la production. Les cousi-nages techniques et bureaucratiques engendrent les mêmes monstres, moins volatils que les rêves. Ravages de même nature, sinon de même amplitude — encore que fort peu de choses sépa-rent Tchernobyl de Bhopal, sans parler de l’état des âmes, dont on peut penser qu’il n’est jamais plus inquiétant que là où l’on consomme en maîtres.

*

Aussi les questions qui affectent la démocratie semblent-elles à leur tour en suspens, et n’exister qu’en un point menacé d’ina-nité. La représentation abstraite que la démocratie suppose comme mode d’organisation politique navigue dans un ciel éthéré où personne ne respire, et où personne ne vit. La croyance dans les mérites d’une architecture idéelle où les citoyens ne seraient en somme ni hommes ni femmes, ni jeunes ni vieux, ni riches ni pauvres, mais de pures consciences individuelles se don-nant librement le gouvernement qu’appelle leur égalité, dans des suffrages renouvelés au rythme déterminé par la loi dont ils seraient les maîtres, ressemble depuis longtemps à une fable dont on se stupéfie ; et beaucoup trop d’intérêts entendent faire cares-ser au « peuple » la chimère qui les arrange. D’un système d’orga-nisation politique, on ne peut rien déduire aujourd’hui qui s’appelle la vie. C’est à un autre ordre que celle-ci doit les condi-tions qui la font. D’autant que les individus politiques, marqués au coin de l’égalité, s’accommodent mal des conditions écono-miques de l’inégalité, entraînant bientôt celles de l’exercice des pouvoirs ; et l’on peut se demander ce que devient un schéma si abstrait, quand par ailleurs, dans ce qui reste de vie, le rapport de salaire, par exemple, est souvent de un à plusieurs milliers. Com-ment ne pas songer au mot de Tocqueville ? « Quand aucun citoyen n’a un grand pouvoir et de grandes richesses, la tyrannie manque, en quelque sorte, d’occasion et de théâtre. » Aujour-d’hui, elle n’en manque pas. Mais la science politique répugne à appeler tyrannie la tyrannie nouvelle.

*

Si l’horizon a changé, ce n’est pas seulement affaire de défigu-ration du lieu où nous sommes, c’est aussi l’effet d’un affaisse-ment conjoint de la volonté. Que l’ordre politique, quel qu’il fût, pût avoir pour la communauté la souveraineté sur tous les autres, cela supposait malgré l’abstraction de son idée un consentement à l’immensité immaîtrisable du monde naturel, et donc la néces-sité d’habiter la terre avec justice. Il était la technique de l’habita-tion commune, rien de plus. Mais qu’une puissance insoupçonnée se mît à exercer sa démesure sur les choses n’irait pas sans consé-quence sur les corps et les esprits assemblés. La croyance au pro-grès fut une idéologie étonnamment naïve ; elle voulait la pensée indemne du mouvement des choses, et la voyait simplement nour-rie par leurs transformations, dans un développement parallèle et harmonieux. En quoi, du reste, elle ne se trompait pas tout à fait : car les choses de plus en plus maîtrisées font bientôt naître les vies dont leur mouvement a besoin. Rien de nouveau, bien sûr, dans l’idée d’un tempérament à trouver entre politique et écono-mie, entre l’ordre de la cité et celui de sa subsistance ; mais le degré de développement atteint par le second signifie la réduc-tion du premier — sa condamnation, au mieux, au rôle ancillaire de remédiation.

En sorte que les prétendues solutions politiques viennent tou-jours comme moustarde après disner. Une main secourable et distri-butive (une main rêvée) organise et apprivoise le renoncement dans les esprits et en orchestre la constance. Elle élève au-dessus des intérêts et des systèmes un décor de carton-pâte, que les alter-nances politiques badigeonnent au rythme des farces. En France, le carnaval de 1981, puis la mascarade de « la conversion à l’écono-mie de marché » ont ranimé un cadavre maquillé de rouge — en réalité liquéfié depuis longtemps — cependant que le capitalisme financier allait connaître une extension, une ardeur sans pareilles, tous idéaux relégués dans la thérapie urgentiste de ses méfaits. L’étrange conscience qu’ont à présent les entreprises de leur « responsabilité environnementale », les mots d’ordre répandus récemment par l’État soucieux d’une « meilleure consommation » (« citoyenne et responsable ») et de la santé de ses administrés auxquels à peu près tout interdire hormis la soumission à la « croissance », sont les nouveaux moyens que le pire a mis à sa dis-position : assuré ainsi de perdurer, de se développer durablement au moment même où il craignait de fléchir. Le dîner n’en finit pas d’être servi. On l’accompagne désormais d’une moutarde qui fait oublier la digestion difficile promise au scanner ; on acclimate, on assaisonne le faisandage.

C’est à cette table que nous invitent les pouvoirs publics. Peut-être convient-il de rappeler que ces pouvoirs ne visent aucun bien-être ; ni celui des individus, ni celui de la collectivité que ces individus formeraient par miracle. Le pouvoir public ne peut que sa propre puissance, sans sujet et sans but. Toute action, toute « réforme » qui émanerait de lui est un leurre : ce par quoi il se signale, non ce qu’il désire ; ce qu’il lui faut faire pour se mainte-nir, et maintenir équivalemment un mode d’exploitation du monde. Chaque naissance recompose l’action publique en hasard et en incertitude — mais sur le fond inchangé des complexités défigurantes. Il n’y a jamais eu, nulle part, de pensée collective. Il n’y a jamais eu de pensée pour une quelconque collectivité. Elle ne prend corps qu’après coup, au mieux, comme un décor habi-table laissé par des morts, ou comme une mascarade à recommen-cer. Préférons ici Leopardi à Bossuet : « Les États (…) sont établis et conservés par l’erreur, et détruits par la vérité ». Regardons les décors que nous laissons, que nous continuons même de construire ; et jugeons sur eux de la qualité du présent.

Si Leopardi a raison, si son raisonnement est juste, et qu’en effet les États sont établis et conservés par l’erreur, ou, comme souvent, par le mensonge, il faudra bien, au titre de cette loi de l’histoire, qu’éclate la vérité sur le nôtre. C’est sans doute pourquoi l’on voudrait qu’il dure toujours. Ainsi n’aurait-on pas à se poser la question.

*

Il ne s’agit pas de se demander qui au juste manœuvre les fils. Supposer qu’un groupe d’hommes actionne les leviers des banques, des industries, des médias, des partis serait faire preuve d’un romantisme excessif. Mais ne pas le supposer relèverait de la naïveté : ce serait croire que tous ces rouages sont l’effet du hasard ou d’une bien étrange providence. La question s’est trans-formée de longue date : elle porte sur des choses qui font naître et se succéder les esprits dont elles ont besoin pour se poursuivre ; donc sur des attitudes et des comportements qui égalisent, confondent, abaissent les êtres les plus divers en se reproduisant, seule manière d’assurer leur empire. Ces choses et ces attitudes sont organisées en systèmes. Les secondes servent les premières ou plutôt s’y assujettissent en s’en croyant libres, c’est-à-dire en pensant que l’argent, le pouvoir, etc., sont les signes de la liberté, quand aujourd’hui ils sont ceux de l’esclavage. Il y a des escla-vages subis avec dignité, mais parce qu’ils se confrontent au dénuement de l’existence ; partout ailleurs, l’esclavage est le luxe de la bassesse. Il se reconnaît aisément à ce caractère, et prend des noms prestigieux. On ne le voit pas toujours, parce qu’il s’ac-cumule en couches superposées ; « Les esclaves », disait Char, « ont besoin d’esclaves pour afficher l’autorité des tyrans ».

Comme il était prévisible, ce qui reste d’ordre politique a emprunté ses procédures et sa logique à la solidarité des éléments de la vaste machine qu’il sert ; il s’en défend de temps à autre en s’excusant sur la complexité du monde et l’interrelation de tous les éléments qui le composent. L’enfermement se déguise en nécessité. Faut-il supposer un malin génie, qui aurait œuvré à compromettre chaque activité avec chaque autre, afin que l’édi-fice fût irremplaçable et unique, et tout esprit d’indépendance aussitôt ramené à la part qu’il en prend, à son corps défendant ? Ce qu’on appelle mondialisation, à cet égard, est la promesse d’accomplissement de l’enfermement. Nous sommes tous embar-qués : mais non point pour la piété de la traversée. Non, il s’agit en réalité d’une logique maffieuse, celle des compromissions totali-taires — celle du diable, ce bon compagnon, qui ne triomphe jamais autant qu’au moment où il sait son vice partagé. Vous ne tenez à moi que par presque rien, mais c’est ce presque rien qui vous tient. Son triomphe, on le sait bien pour l’avoir lu, pour l’avoir éprouvé, est le triomphe des vaincus qui trouvent une amère et trompeuse consolation dans le spectacle de ceux qu’ils ont souillés et qu’à ce titre ils nomment du beau nom de frères. Nous irons ainsi jusqu’au sang, jusqu’au meurtre et à toutes les formes symboliques qu’il admet — le riche contre le pauvre, l’image, la belle image contre la vie. Car le propre du mal, c’est de tendre à se banaliser. C’est de faire de la fraternité souillée la car-rière d’un meurtre d’un genre nouveau, qui ne manque pas de douceur et possède aux yeux de qui le perpétue une étrange valeur d’offrande : celle d’un confort prétendument disponible pour tous et d’une parfaite innocuité, cependant qu’il y a partout l’acte renouvelé de la domination, et, comme son ombre, nature terrorisée ou incarcérée. Si puissant est le refus convenu du siècle qui nous précède, que nous ne nous apercevons guère qu’en réa-lité nous en avons repris l’essentiel allégé de son poids d’odieuse tragédie.

À suivre.

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