LA LUTTE AVEC L’ANGE

 

La lutte avec l’ange.
Interprétation d’après Delacroix.

 


Le résultat de mes journées est toujours

le même : un désir infini de ce qu’on n’obtient
jamais ; un vide qu’on ne peut combler, une
extrême démangeaison de produire de toutes
les manières, de lutter le plus contre le temps
qui nous entraîne…
Delacroix, Journal du 25 avril 1824.

JE me souviens avoir observé pour la première fois l’image de la lutte en feuilletant un dictionnaire, seul volume où je pouvais, à l’époque, trouver des repro-ductions d’œuvres d’art.

Bien plus tard, lorsque je vins à Paris poursuivre mes études, j’ai eu le bonheur d’être face à la lutte, à la Cha-pelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice. J’admirais le vaste et magnifique paysage encaissé, tout en hauteur, traversé par un troupeau haletant dans un nuage lumineux de poussière qui se dirige vers une trouée, une sorte de col dans la roche. Au centre, de grands arbres, des chênes : comme un pilier soutenant la voûte du ciel obstruée par le vert profond du feuillage. Tout en bas du tableau, une nature morte faite de chapeaux, de vêtements, d’une lance

 

pointée vers les lutteurs — comment ne pas songer aux flèches menaçant les corps chez Francis Bacon ? —, le tout regroupé et placé au premier plan comme une invitation à entrer dans l’espace de la peinture ainsi matérialisé, une invitation à nous rapprocher des lutteurs ; l’affrontement en déséquilibre, fait de mouvements opposés, presque symétriques, crée une dualité, mais, par l’entrelacs des gestes, une grande unité lie les protagonistes dans un mouvement perpétuel : l’opposition est aussi accord.

À l’occasion d’un projet d’exposition, j’ai eu le désir de travailler d’après cette œuvre dans une suite d’études : pastels, monotypes et peintures. Je tentais l’approche à de multiples reprises, des élans successifs qui m’ont conduit à une sorte de corps à corps avec la peinture, dans la recherche de la présence et de l’intensité. Ces études se sont concentrées pour la plupart autour des lutteurs. L’affrontement avec la peinture revenait comme signe mille fois répété, comme une respiration — la recherche d’un souffle, certainement — rythmée par une réflexion jusqu’alors évitée : faut-il foncer dans la nuit pour trouver un peu de lumière ?

Par dérives successives, ces études m’ont rappelé à d’autres images — de Rembrandt (Le combat de Jacob), de Géricault (Les lutteurs) et de Gauguin : je pense ici à sa Vision du sermon, sorte de corps à corps pris dans le rouge brique du sol, et, par extension, à La danse de Matisse qui est accord, accompagnement des corps sur fond bleu. « Luxe, calme et volupté » dans une lumière fixe, dans un temps arrêté, dans un repos du jour où la lutte a cessé.

*

 

Après de longs travaux en couleurs, le noir et le blanc se sont imposés comme pour répondre à la nuit dans laquelle se déroule le combat, selon la Genèse. Mais leur contraste est aussi lumière fixe, une lumière dans l’ombre, qui retient l’espace et le sculpte.

Avec la peinture à l’huile ou l’encre noire, j’éprouve toujours un plaisir mêlé de gravité à envahir le format et pénétrer le fond blanc. L’opposition première répond puissamment à la décision du geste ; il y a là comme un appétit, une attente aussi : dans les multiples tentatives — « l’essai, c’est tout », constatait Giacometti —, je sais qu’il faut recommencer encore pour avancer ; un pas fait attendre le suivant, une direction s’impose, qui n’est pas tant de réussir une peinture, une estampe, que d’aborder à nouveau ce lieu et ces figures, et d’essayer de les dire, de les redire, peut-être, mais surtout d’être en présence, d’être avec.

Au rythme du travail, les silhouettes de la lutte peu à peu s’imposent ou disparaissent, se confondent dans la nuit de l’encre ou ressurgissent dans le blanc du papier comme une respiration de la lumière. Comme s’il fallait éclairer l’inévitable pour que le jour paraisse — oui, en une tentative.

Yves Noblet.

La lutte avec l’ange.

YVES NOBLET.

 


Monotype sur papier, 32 x 45 cm, 2007.



Monotype sur papier, 32 x 44 cm, 2007.



Monotype sur papier, 44 x 32 cm, 2006.



Monotype sur papier, 44 x 32 cm, 2006.



Monotype sur papier, 32 x 45 cm, 2008.



Monotype sur papier, 40 x 40 cm, 2006.



Peinture à l’oeuf et pastel sur papier, 65 x 50 cm, 2008.



Monotype sur papier, 45 x 57,5 cm, 2006.



Monotype sur papier, 32 x 44 cm, 2007.



Monotype et pointe sèche, crayons de couleur, 50 x 44 cm, 2008.


Monotype sur papier, 55 x 74 cm, 2008.



Monotype sur papier, 44 x 32 cm, 2006.



Monotype sur papier, 40 x 40 cm, 2006.



Monotype sur papier, 32 x 45 cm, 2008.



Monotype sur papier, 44 x 32 cm, 2006.



Monotype sur papier,, 55 x 70 cm, 2006.



Peinture à l’oeuf sur papier, 65 x 54 cm, 2004.



Monotype sur papier, 39,5 x 32,5 cm, 2008.



Monotype sur papier, 45 x 57,5 cm, 2007.



Pastel à la cire sur papier, 65,5 x 50 cm, 2003.



Monotype sur papier, 32 x 44 cm, 2007.



Monotype sur papier, 57,5 x 45 cm, 2007.



Acrylique et huile sur papier, 76 x 56 cm, 2006.