LYRISME ET DISSONANCE (I)

 

TOUT artiste tient du manchot : le poète, le peintre, le compositeur ne travaillent que d’une main. L’autre n’est guère requise, sinon pour tenir la palette, maintenir la feuille de papier en place ou se gratter l’oreille.

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Mais l’artiste réussit parfois d’une main ce que d’autres ne sauraient obtenir ni à deux ni à trois mains.

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L’idée de se voir publié lui fait craindre d’être décou-vert. Malgré quoi il se laisse faire. Il y contribue même activement.

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Le poète déplace des mots. D’autres déplacent de l’air, d’autres des pierres, d’autres de l’argent, d’autres encore des armées.

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Demander à quelqu’un pourquoi il écrit, pourquoi il peint, bref, pour quelle raison il s’obstine à composer dans l’inutile, c’est demander à la blessure pourquoi elle saigne.

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Le temps de la vraie souffrance est stérile.

S’il est un temps où la souffrance paraît féconde, c’est qu’elle n’est déjà plus qu’intermittente. Celui qui souf-frait n’est pas guéri, mais son mal lui accorde des répits. Il en profite pour s’exprimer.

La parole tient dans ces intervalles.

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« Le poète est celui qui, par son sacrifice, maintient en somme la question ouverte. » (Maurice Blanchot.)

Question ouverte, oui, comme on le dit d’une bles-sure.

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L’écriture : indiscrétion ; sécrétion de soi.

Secret et sécrétion, une même origine : secretio,la séparation.

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Il y a des auteurs assurément amoureux de leurs lecteurs : un seul les désavoue, et tout est condamné.

Écrire un poème, c’est prendre un nombre considé-rable de décisions. Les pragmatiques, les chefs d’entre-prise, ceux qui œuvrent dans le monde dit de l’efficacité ne devraient pas sourire trop vite d’une telle remarque, car c’est là peut-être le seul point qu’ils ont en commun avec le poète.

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