Le commerce des œuvres


LES MUSÉES ont subi depuis une quarantaine d’années une profonde mutation. Créations, agrandissements, multiplications du nombre de visiteurs, du nombre, de la taille et du prestige des expositions, insertion à marche forcée dans une économie compétitive. Musées et expositions sont maintenant des pôles d’attraction touristique, des lieux de consommation culturelle de masse. Le «secteur culturel» est devenu «industrie culturelle» (1). Tous ces facteurs ont modifié leurs structures, leurs modes de fonctionnement, et n’ont pas été sans conséquence sur leur objet même : conserver et présenter des œuvres d’art. On peut même raisonnablement penser qu’au cours de cette évolution, l’œuvre d’art a perdu une partie de son âme et qu’elle est devenue pour le musée un actif à rentabiliser, un bien d’échange, et pour le visiteur le simple support d’une distraction éphémère, d’une prétendue « expérience sensible ». 

Historiquement, en France tout du moins, les musées relèvent de la puissance publique, État ou collectivités territoriales (2). Jusqu’à une période récente, l’économie des musées relevait donc exclusivement du « service public ». Gestion des bâtiments, salaires, entretien, gestion et acquisition des collections, tous ces postes étaient pris en charge par des budgets publics. En regard, les recettes — principalement les entrées, les ventes de produits dérivés, les concessions (boutiques et restaurant) et la location d’espace — ne couvraient évidemment pas les dépenses engagées. 

Un effort considérable a été fait pour la rénovation des musées existant et pour la création de nouveaux établissements. Pour ce qui est de Paris, cinq grands établissements nouveaux : musée national d’Art moderne, partie du Centre Pompidou (1977), musée d’Orsay (1986), « Grand » Louvre (1993), Palais de Tokyo nouvelle formule (2002) et musée du quai Branly (2006). À Paris toujours, d’autres établissements ont été rénovés : musée des Arts décoratifs (1996), musée Guimet (200), Petit Palais-musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris (2005), musée de l’Orangerie (2006), musée Picasso (2015). Les provinces françaises ne sont pas en reste : importantes campagnes de remise en état des musées de Lille, de Nantes, de Lyon, de Montpellier, de Rennes, de Caen, de Rouen, du Havre, tout récemment de Colmar. Le Musée d’Art moderne de Strasbourg ouvre en 1998, Le Lille Métropole Musée d’Art moderne en 2010, le MuCEM à Marseille en 2013, le musée des Confluences à Lyon en 2014 et la même année le musée Soulages, à Rodez. Enfin, puisqu’ils sont financés essentiellement par les municipalités et les régions concernées, il faut bien sûr noter l’ouverture du Centre-Pompidou Metz en 2010 et le Louvre-Lens en 2012. 

À ces investissements se sont ajoutées d’autres dépenses : coût fiscal du mécénat, croissance des effectifs liée à la création de nouveaux établissements, à l’extension des musées existants et à l’accroissement du taux d’ouverture des salles. Ainsi, jusqu’à une période très récente, contrairement à ce que l’on croit, les crédits publics n’ont donc pas cessé d’augmenter : « Si l’on ajoute à une progression de 58 % des dépenses directes de l’État le doublement des avantages fiscaux associés au mécénat et l’essor considérable de ce dernier à partir de 2003, il peut être estimé que l’effort budgétaire total de l’État en faveur des musées nationaux a progressé en dix ans dans une proportion comprise entre 70 et 90% (3).» Dans le même temps, le budget du Ministère de la Culture a chu de 32 %. En 2009, la charge globale du fonctionnement des musées nationaux (760,46 M€) était répartie comme suit: 42% de subventions de l’État, 23% de recettes propres (droits d’entrées, redevances, locations), 12 % de salaires pris en charge par l’État, 11 % de recettes commerciales (RMN) et 12 % d’autres recettes (4). 

 

1 Pour preuve, la multiplication des formations universitaires de type « ingénierie des projets culturels et interculturels », « culture et communication », « management des organisations culturelles et artistiques » « gestion du patrimoine culturel » « économie et gestion des produits culturels », « science et technique de l’exposition », etc... 

2 60% des musées en France appartiennent à des collectivités territoriales. 

3 Cour des Comptes, Les musées nationaux après une décennie de transfor- mation 2000-2010, mars 2011, p. 48.
4 Idem, p. 54.