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IL Y AURAIT TOUTE UNE EXPOSITION À FAIRE, et un livre à écrire, sur Palézieux et l’Italie — plus précisément la Vénétie et la Toscane.
Nous en avons déjà touché quelques mots, ici et là , rappelant l’affection profonde et discrète qu’avait pour l’Italie celui qui étudia aux Beaux-Arts de Florence pendant la guerre, avant de s’installer définitivement, quelques années plus tard, dans le Valais, dont la lumière est elle aussi d’Italie. Il faut aussitôt préciser que le goût monographique nous paraît moins important que la saveur des œuvres (ou des vies, c’est parfois tout un dans l’ordre de la considération), c’est-à-dire que l’orientation qu’elles donnent pour voir et entendre ce qui se joue à chaque instant.
Ainsi de Venise, chez Palézieux. On aimerait donner ce sésame aux visiteurs. Le peintre et graveur a beaucoup représenté Venise, avec un goût particulier pour les paysages de la lagune et la Venise industrielle. Mais, ici et là, c’est toujours le même soin apporté à la silencieuse liturgie d’air et de lumière, et à la liturgie humaine. Les visiteurs feraient bien de s’en inspirer pour vivre comme il convient dans cette ville, c’està-dire dans cette nature seconde où harmoniser les plans — l’intérieur comme l’extérieur. Gravures et aquarelles sont nombreuses (les premières, depuis les années 60), aux moyens extraordinairement virtuoses et sans bruit, pour remonter des plages de temps et d’espace où considérer ce qu’on y pourrait bien faire sans mentir ni défigurer.
Quand Palézieux grave la petite suite qu’on va voir (il nous l’avait confiée, imprimée sur un Chine très fin et très pâle, alors qu’il travaillait au livre que Fata Morgana publia depuis lors, en 2008, sous le titre d’Arrière-automne à Venise, avec un texte de Rilke traduit par Gustave Roud), voilà déjà longtemps qu’il ne sort plus de chez lui.
Les voyages en Toscane, les séjours à Venise avaient été fréquents, tant qu’ils étaient possibles ; il existait dans l’atelier de Veyras de nombreuses petites boîtes (de tout petit format, 10 x 15 à peu près) où Palézieux conservait, comme des souvenirs ou des archives à humer plus tard quand viendrait le goût d’une autre gravure ou d’une autre aquarelle, une foule de dessins, de lavis, de croquis, à partir desquels, le temps de l’immobilité venu (mais auparavant déjà, pour que l’image se décante), l’œuvre proprement dite ou manifestée s’élaborait. (Oui, ces provinces s’y trouvaient crayonnées dans le moindre de leurs détails, il y avait des dessins sur tout ; on se rappelle avoir parlé un jour, conversant à bâtons rompus, de Montalcino, et un dessin paraissait de son étrange château, ou bien de Sant’Antimo — et voilà de nouveaux dessins, et de même de tous les lieux vénitiens et lagunaires.) La richesse de l’expérience (et pas seulement du regard) fait l’extraordinaire sobriété de moyens. Les aquarelles mêmes — on y viendra un jour — sont aussi intenses que les grisailles anciennes, en un seul ton ou presque, selon les nuances de la vie, c’est-à-dire de l’esprit qui considère et accueille, au lieu de se laisser envahir et de répondre par déchaînement (bien des pans de l’art moderne n’ont jamais écouté, et ont voulu faire de la peinture subjectivo-bruyante).
Cinq ans après sa mort (Gérard de Palézieux s’est éteint à Sierre le 21 juillet 2012), que le lecteur nous permette cette manière d’hommage. Pierre-Yves Gabioud, peintre et graveur, nous prête aussi ses mots, et nous l’en remercions. Inutile de revenir sur ce que l’un et l’autre nous ont donné pendant de nombreuses années ; le lecteur curieux parcourra les sommaires de cette revue, s’il le souhaite. La présence, le regard de Palézieux nous étaient essentiels ; ils le demeurent plus que jamais, sous le signe de la reconnaissance (seul « programme » de peinture, au fond, et seul programme pour à peu près tout qui s’appelle la vie).
C. C.