Nouvelles du monde

 

IL FAUT DIRE, aussi brièvement que possible, pourquoi des pages qu’on jugera étranges et d’un autre temps prennent place dans un cahier essentiellement consacré aux apories de l’information. Qu’elles puissent servir d’antidote ou de contrepoint, c’est une réponse possible, bien sûr (on peut toujours goûter la justesse de ce qui fut perçu, donné à voir et à entendre, en quelque époque qu’on soit) ; mais on se doute aussitôt que ce serait un peu trop simple, ou plutôt naïf. Il y va, disons, d’une interrogation sur la temporalité : sur la consistance du temps, si l’expression n’est pas trop paradoxale. Sur ce qui fait pièce (en nous encore, peut-être) au temps sans temporalité de l’information, qui est un temps compulsif, sans histoire, sans épaisseur, sans concordance, donc sans avenir et sans passé — sans vie. On a besoin de quelques conditions pour respirer dans le présent : à commencer par le fait qu’il ne soit pas mort, c’est-à-dire entièrement requis d’un côté par la biologie, de l’autre par la mécanique et les procédures formelles ou sociales de la répétition. 

Un mot, d’abord, sur l’auteur. Du Tessinois Giuseppe Zoppi (1896-1952)(2), on ne connaît (à la rigueur) que Le Livre de l’Alpe, beau petit volume élégiaque et rêveur qu’avait écrit un jeune homme de vingt-six ans, et que Henri de Ziégler traduisit en son temps, À la Baconnière — en 1947, pour être précis —, dans la collection charmante et discrète qui vit se succéder tant de beaux titres sous un petit format. Le jeune tessinois fit ses études universitaires à Frigourg (sa thèse portera sur la poésie de Francesco Chiesa et sera publiée en français ; il consacrera, du reste, maint article à cet auteur) ; il y acquit une grande aisance dans d’autres langues que la sienne propre, ce qui lui permettra de traduire en italien C. F. Ramuz ou Charles Gos, Cecile Lauber ou Conrad Ferdinand Meyer, et, en allemand, Alfieri, Manzoni — Les Fiancés... — ou Grazia Deledda. Il enseigne longtemps à l’école ou au lycée (Berne, Genève, SaintGall, Lugano, Locarno, où il lui arrive aussi d’enseigner le français), puis, à partir de 1932, occupe la prestigieuse chaire de littérature italienne au Polytechnicum de Zurich, qu’avait créée au siècle précédent Francesco De Sanctis ; et cependant il ne cesse d’écrire dans des journaux ou revues, de composer des anthologies ou de publier ses propres livres. 

Tout cela (ce plurilinguisme, aussi bien) tourne autour de ce qu’on pourrait appeler une certaine idée de la Suisse. Ce n’est pas le destin de ce pays qui nous intéresse en soi (il ne nous est pas non plus indifférent) ; ce qui nous intéresse, c’est ce qui peut assembler en une totalité à la fois diverse et cohérente l’expérience de vivre — à la fois commune et singulière. Le présent est cela, aussi. Zoppi a su, dans son activité, unir langues et lieux, fédérer pour ainsi dire un nombre non négligeable de franges, d’ombres du présent, en percevoir la richesse et donc le laisser vivre. Dans ses réflexions sur « La vocation européenne de la Suisse3 », il citait ce passage de Cattaneo, fédéraliste convaincu : « Parmi les idées divergentes qui peuvent encore survivre dans les gouvernements et les peuples, la Suisse, par son attitude, neutre, pacifique, hospitalière, étrangère à tout agrandissement, à toute menace, à tout piège, est appelée à être une médiatrice conciliante et opportune. Elle représente virtuellement les intérêts communs [...]4. » Bref, nulle confiscation (il ne s’agit pas seulement de politique), mais une écoute, une attention. 

 

  • 1 Nous traduisons sous ce titre les textes suivants : « Vecchiaia », Corriere del Ticino, 19 novembre 1927 ; « I doni della primavera », Illustrazione Ticinese, 4 février 1931 ; « Bambina di un anno. Risveglio », Illustrazione Ticinese, 30 juin 1934 ; « Camposanto », Illustrazione Ticinese, 3 novembre 1934. Ces quatre textes ont été repris dans Giuseppe Zoppi, Ero un ragazzo di montagna. Novelle e ricordi, a cura di Tania Giudicetti Lovaldi, Bellinzona, Salvioni Edizioni, 2015, respectivement pp. 23-26, 29-30, 55-56, 57-58. 
  • 2 Sur l’auteur, voir l’étude de Luigi Del Priore, « Giuseppe Zoppi (1896-1952)», Quaderni Grigionitaliani,n° 2, 3 et 4 ,1963; 1, 2 et 3, 1964, que l’on complètera par les Nuovi studi su Giuseppe Zoppi, a cura di P. R. Frigeri e F. Catenazzi, Lugano, Cenobio, 1997.