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DEVRAIENT SE DESSINER ICI la confrontation et la mise en question réciproque de deux certitudes : celle du sens philosophique de la notion d’actualité, et celle de son sens médiatique. À supposer que les deux approches aient en vue le même objet, c’est une voie sur laquelle une philosophie quelque peu ingénue, abritée sous la cuirasse du concept, pourrait prétendre s’assurer un commode triomphe sur les inconsistantes gazettes.
Et classiquement, il est vrai, seule la première certitude, celle des philosophes, semble certaine. On tentera cependant de faire le chemin inverse, quitte à faire apparaître d’autres conséquences non moins instructives, quitte à défaire des certitudes. Bref, au lieu d’établir, à peu de frais, que ce qu’on appelle communément actualité — celle des journaux — ne réalise point la perfection de l’être en acte aristotélicien, on partira de cette actualité même et de ce qu’elle réalise tant bien que mal, pour retrouver ou non d’éventuelles fondations sur un chemin où l’on pourrait aussi se perdre.
Ce qu’on appelle ainsi, aujourd’hui, actualité, peut se caractériser d’abord négativement, eu égard justement aux sens philosophiques qui s’y trouvent déçus, et d’autant plus déçus qu’ils semblent s’y recommander.
En fait, plutôt actuality qu’actualitas ou ἐνεργέια, c’est le détour par l’anglicisme qui libère le sens pragmatique de la notion, le moins spéculatif possible, mais base de son sens désormais usuel.
Ainsi, l’actualité se détermine-t-elle non pas d’abord comme réel en acte, selon l’approche aristotélicienne ; propre de ce qui est en acte, par opposition à ce qui est en puissance, l’actualité se dirait de ce qui advient au temps où tel ou tel être accèderait à l’être en acte. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit quand les journaux parlent de l’actualité.
Mais l’actualité ne se détermine pas non plus comme présent, selon la puissante élaboration théorique des stoïciens. Propre de ce qui est effectivement réel et advient au seul temps qui ait de la réalité, le présent, l’actualité équivaudrait au temps présent, mais avec toutes les contradictions qui marquent le caractère transitoire du présent, dégagé par l’épicurisme. Au contraire, pour autant qu’elle retrouve l’intuition stoïcienne du présent, l’usage moderne de la notion récuse la posture de discernement conduisant à distinguer dans le présent pur, ce qui est vraiment actuel (ontologiquement), et ce qui ne l’est qu’en apparence (chronologiquement). En cela, elle ne comporte plus rien de stoïcien.
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