Journal 1939

 

Présentation de Silvia Calamandrei. 

Pour le public français qui connaît déjà Piero Calamandrei juriste et écrivain, grâce aux éditions et aux choix raffinés de Christophe Carraud, cette moisson d’extraits qu’Arnaud Clément a remontée de son Journal de 1939 constituera une surprise, car elle permet d’assister directement au vécu d’un intellectuel libéral du siècle dernier, déjà humilié par l’oppression quotidienne de la dictature fasciste, face à un monde qui se précipite vers une guerre capable d’anéantir la civilisation à laquelle il a le sentiment profond d’appartenir. 

Si, dans l’Inventaire d’une maison de campagne1, travail d’écriture mémorialiste et littéraire qu’il entame au printemps de la même année, il se penche sur ses souvenirs d’enfance et le début du siècle, les traces laissées par les pères Étrusques et les courbes délicates du paysage de Toscane, pour trouver un réconfort contre la barbarie qui gagne, il se fait ici, à partir de 1939, observateur et chroniqueur des événements, dans une position relativement privilégiée d’homme de culture et de juriste entouré d’un réseau serré d’amis et de connaissances ; c’est donc un témoin qui accède à des sources de premier ordre mais enregistre aussi les mouvements de l’opinion publique et des gens ordinaires, et qui développe ses réflexions dans un cénacle d’amis qu’unissent l’opposition au fascisme et la culture libérale. 

Voici la justification qu’il donne de son effort le 4 mai 1939, au début d’une œuvre qui sera publiée en 1982, plus d’un quart de siècle après sa mort, sous le titre Diario 1939-45 :  Mais pourquoi écrire toutes ces observations qui suffiraient au moins à m’assigner à résidence si elles parvenaient aux mains d’une autorité compétente ? Pour deux raisons : premièrement, parce que si cette période prend fin avant ma mort et que j’arrive à une époque où je pourrai faire l’histoire sincère de ces années, tous les petits épisodes que j’enregistre pourront servir à reconstruire l’atmosphère qui nous fait suffoquer aujourd’hui ; deuxièmement, parce que si cette période dure plus d’un demi-siècle et que nous sommes vraiment les rescapés mélancoliques d’une civilisation en déclin, ce cahier pourra tomber d’ici quelques siècles entre les mains d’un spécialiste d’histoire et lui apparaître comme un récit de vie non dénué d’intérêt. Les souvenirs quotidiens d’un homme médiocre vivant au temps de Julien l’Apostat, attaché au paganisme déclinant et témoin des derniers regrets d’une civilisation sur le point de s’éteindre, auraient aujourd’hui une grande valeur. Et puis, et puis : j’écris pour protester, pour savoir, en relisant ce que j’ai écrit, qu’il y en a au moins un qui ne veut pas être complice ! 

 

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