Qu’est-ce qui commande ?

Liminaire

DANS LES SOCIÉTÉS LIBÉRALES, on n’aime guère se poser ce genre de questions. Une ombre pèse sur la liberté défendue par tant de droits, et sur l’individu vaguant, il l’espère, à son aise. Mais cette ombre, la démocratie préfère ne pas en scruter les profondeurs. Si vacillant qu’elle le voie, elle veut se contenter du bonheur toujours nouveau de l’égalité. Et cependant, elle souffre plus que jamais d’une inquiétude dénudant ses promesses et ses prémisses. L’individu ne sait où se tourner pour saisir les phénomènes auxquels il se sent impérieusement soumis. Il s’agrippe au vide qu’il a voulu. Ballotté par des mouvements puissants, il interroge le petit souverain qu’il est, il interroge ses droits, et ne trouve pas de réponse. 
On sait depuis longtemps que le sujet du commandement (celui qui l’exerce, celui sur qui il porte) est à la fois très simple à déterminer et très brumeux, impossible à saisir. Très simple, parce que nombreuses sont les situations, dans la vie concrète, où un ordre est donné et où l’exécution s’impose : ces situations procèdent, presque tautologiquement, de rapports hiérarchiques aux termes bien identifiés, et donc d’un consentement de fond à la dénivellation des sujets agissants, aux fins générales d’une efficacité de l’activité dans laquelle ils sont engagés. Commander, à cet égard, n’est pas soumettre, pas plus qu’obéir n’est se soumettre. Ou alors il faudrait nuancer à l’infini (on l’a fait parfois), selon les zones du sujet laissées libres par le système général du commandement et de l’obéissance, et celles qui sont contraintes au point d’affecter la liberté et la validité du consentement. 

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