Quand dire, c’est défaire

SÉMANTA. La pluie remonte au ciel, à verse.
PIERO. Peut-on dire quelque chose comme
ce que vient de dire Sémanta ?
MILONE. On peut tout dire, sauf ce qui est
interdit.
PIERO. Alors, on doit pouvoir dire qu’il fait
beau, alors qu’il est en train de pleuvoir ?
MILONE. Bien entendu.
Alberto MORAVIA, Le monde est ce qu’il est. 

 

L’entrée dans le langage. 

Freud raconte qu’il vécut pendant plusieurs semaines auprès d’une famille où se trouvait un petit garçon de dix-huit mois (il parle en fait de l’aîné de ses petitsenfants, Ernst, né en 1914), dont il put observer la conduite à loisir. Cet enfant, par ailleurs gentil, obéissant, et supportant patiemment les absences de sa mère (Sophie, cinquième enfant de Freud) à laquelle il était très attaché, avait coutume de jeter loin de lui les petits objets qui lui tombaient sous la main, en prononçant un o-o-o-o prolongé — sa manière à lui de prononcer le mot fort (« pas là », « parti »). En particulier, Freud fut témoin de la façon dont l’enfant usait d’une bobine de bois entourée d’une ficelle — comportement qu’il décrit ainsi : « Il jetait avec une grande adresse la bobine, que retenait la ficelle, par-dessus le rebord de son petit lit à rideaux où elle disparaissait, tandis qu’il prononçait son o-o-o-o riche de sens ; il retirait ensuite la bobine hors du lit en tirant la ficelle et saluait alors sa réapparition par un joyeux Da (“là”). Tel était donc le jeu complet : disparition et retour ; on n’en voyait en général que le premier acte qui était inlassablement répété, bien qu’il ne fût pas douteux que le plus grand plaisir s’attachât au deuxième acte. »