Architecture rurale italienne a acquis avec le temps une dimension presque mythique: ce catalogue de l’exposition qu’organise Giuseppe Pagano à la Triennale de Milan en 1936 entend démontrer le génie fonctionnel de l’architecture rurale léguée par la tradition la plus ancienne, et chercher dans la rationalité de l’architecture spontanée sa valeur universelle.
Pagano a parcouru l’Italie entière pour en rapporter ces photographies magistrales, que commente son propos théorique, réflexion ardente sur la nature et les devoirs de l’architecture moderne. Cette longue tradition de la construction rurale, cette «architecture sans architecte», est l’école du fonctionnalisme que Pagano appelle de ses vœux; et, photographiée par lui, elle fait percevoir, de la façon pour nous la plus poignante, tous les prestiges de l’image et sa puissance de nostalgie, servis par la mise en page magnifique qui en fut faite en 1936.
Pour son édition française, ce catalogue comprend en annexe quelques études appelées par la figure de Giuseppe Pagano (Parenzo, 1896 – Mauthausen, 1945), exceptionnelle à plus d’un titre. Car celui-ci ne fut pas seulement un architecte décisif de l’entre-deux guerres, un photographe de premier plan, un théoricien auteur d’innombrables articles dans les revues les plus importantes du temps; il fut aussi un homme au destin exemplaire et singulier. Il crut ardemment à la «révolution fasciste» et à ses promesses sociales; mais son exigence d’architecte en mesura les impasses, et son opposition progressive au régime excéda vite le domaine de l’architecture pour devenir, au nom même de la dimension sociale de celle-ci, lutte politique puis engagement dans la Résistance — jusqu’à lui faire connaître l’emprisonnement, la torture, la déportation et la mort.
C’est tout cela, la beauté des images, la précision du regard, l’intelligence engagée du propos architectural, la personnalité et le destin contrastés de l’auteur, qui donne à l’Architecture rurale italienne d’être un des livres les plus marquants de l’invention architecturale du xxe siècle.
Giuseppe Pagano (1896-1945) est né en Istrie, quand l’Istrie est territoire autrichien. Fervent patriote, il conçoit très vite de forts sentiments irrédentistes, et s’engage dès l’entrée en guerre de l’Italie, en 1915, contre l’Empire autrichien. Plusieurs fois blessé et décoré, il participe à l’aventure de Fiume menée par D’Annunzio, puis entame à Turin des études d’architecture. Il deviendra très tôt, en 1928, un architecte reconnu, fervent partisan du renouvellement de l’architecture au sein du «mouvement moderne». Il voit dans le fascisme, auquel il adhère, l’occasion de réformer l’architecture et la construction en Italie, de les rendre plus rationnelles et plus proches du peuple.
Parallèlement à son activité d’architecte, il participe à maintes expositions internationales, et organise la Triennale de Milan: il prend aussi la direction de Casa-bella, de 1931 à sa mort, et donne à cette revue l’aura théorique internationale qui en fait sans doute le périodique d’architecture le plus important du siècle.
Il mesure peu à peu, douloureusement, l’incapacité du fascisme à répondre aux aspirations qu’il avait mises en lui; l’art « officiel » triomphe, en dépit de tousses efforts pour faire admettre une architecture rationnelle et le souci social qui doit l’animer. Il multiplie, dans Casabella et ailleurs, des prises de position de plus en plus hostiles au régime, déployant en cela l’énergie infatigable qui a tant marqué ses contemporains.
Textes de Giuseppe Pagano, Christophe Carraud,Gabriella Musto, Alessandro Mauro, Antonino Saggio
Traduit de l’italien par Christophe Carraud