RETOUR DE BAGDAD

 

Retour de Bagdad,
ou les aventures d’un drogman à l’époque romantique.

 

Yves Bruley.

 

QUI connaît Jean-Marie Beuscher, dit Beuscher l’Aîné ? Personne, ou presque personne. Beuscher l’Aîné n’est pas un grand homme. Préciser qu’il est le fils de Jean-Marie Olivier Beuscher, employé au ministère des Affaires étrangères, et qu’il fut lui-même employé du même ministère ne suffit pas à attirer l’attention sur lui. Pourtant, notre Beuscher a mené une vie hors du commun ; il a connu en profondeur cet Orient qui fit rêver toute sa génération, celle du romantisme. Il y a fait l’expérience d’un rapport au temps encore si différent de celui du plus grand nombre de ses contemporains, dont l’horizon n’était jamais repoussé bien loin.

Beuscher l’Aîné n’a rien publié. Et le seul texte imprimé qu’on ait de lui paraît touché d’une étrange malédiction. En 1826, alors qu’il était drogman (interprète) au consulat de France à Trébizonde, il rédigea une « notice sur la ville de Trébizonde » pour le compte d’un archéologue,

F. A. Schutz. Celui-ci avait été envoyé en 1827 par la Société asiatique de Paris chercher des vestiges aux confins de l’Arménie, de la Turquie et de la Perse. Mais le malheureux Schutz y fut assassiné. Ses confrères de la Société asiatique retrouvèrent dans ses papiers ladite notice, qu’ils jugèrent digne d’être publiée. Elle parut dans le Journal asiatique de janvier 1836, mais sans nom d’auteur — la paternité de Beuscher est à peine évoquée en note 1 .

Mais s’il n’a pas publié, Beuscher l’Aîné n’est-il pas pour autant, d’une certaine manière, un humaniste — en ce sens qu’il est une sorte de philologue, un amoureux des langues et des civilisations ? Né vers 1796, il est admis à l’âge de dix ans, avec son frère cadet Paul 2, dans l’école dite des « Jeunes de langues ». Cette école créée en 1669 à l’initiative de Colbert forme les futurs drogmans 3, c’est-à-dire les traducteurs inter-prètes destinés à faire carrière à l’ambassade de Constantinople ou dans les nombreux consulats français de l’Empire ottoman. Cette école du drogmanat, où l’on apprend à une poignée de jeunes élèves français le turc, l’arabe, le persan ou l’arménien, est l’une des origines de l’École des langues orientales.