L’ÉCHAPPÉE BELLE. ENTRETIEN AVEC PIERRE-YVES GABIOUD

 

LENTRETIEN que nous publions a eu lieu le 16 mai 2008, et a été diffusé du 21 au 24 juillet 2008 sur Espace 2, l’une des chaînes de la Radio Suisse Romande. Il fait partie d’une série d’émissions,

« l’Échappée Belle », qui a débuté en juillet 2006, et dont l’aventure s’est achevée en décembre 2008. Sur le principe de l’entretien sur place, en quatre volets d’une demi-heure, Isabelle Carceles a rencontré une centaine de personnes, dans toutes sortes de domaines, arts plastiques, musique, théâtre, cinéma, photo, travail de la terre, du bois — et aussi un magicien, une restauratrice d’icône, un créateur d’automates… Il s’agissait simplement d’explorer l’univers quotidien de ces artistes et artisans, leurs outils, les matières et les gestes qu’ils font et qui les font.

Conférence a déjà publié des images de Pierre-Yves Gabioud (dans ses numéros 23 et 26), qui a illustré par ailleurs de 26 monotypes le dernier livre de Maurice Chappaz, disparu le 15 janvier dernier, La Pipe qui prie & fume, publié par nos soins en novembre 2008. Nous sommes heureux de donner à entendre — oui, nous croyons que cela se perçoit dans les lignes de cet entretien — la voix d’un homme que nous aimons.

Et bien sûr nous remercions la RSR, et tout particulièrement Isabelle Carceles, d’avoir accepté le principe de cette publication et les remaniements légers que celle-ci supposait.

Conférence.

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[I. C.] Pierre-Yves Gabioud est né à Praz-de-Fort, dans le Val Ferret. Il faut s’enfoncer un certain temps dans des vallées de plus en plus sombres et escarpées pour parvenir au village où il a ses racines, où il a construit sa maison avec sa compagne. Avant de s’y réinstaller, Pierre-Yves Gabioud aura fait beaucoup de choses, sera parti vivre dans de nombreuses villes, dans de nombreux pays, tout en revenant fidèlement à Pâques, pour des retrouvailles à la fois sensuelles et mystiques avec les abricotiers en fleurs. Ce sont deux termes qui pourraient bien aider à décrire Pierre-Yves Gabioud, la sensualité et le mysticisme, le tout tempéré d’humour. Je vous propose de vous approcher un peu de cet homme à la fois poète et provocateur, artiste tenace qui nage délibérément à contre-courant, inspiré peut-être par son petit ruisseau.

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I. C. C’est vous qui avez construit cette maison ?

P.-Y. G. Oui, quand on est arrivés ici, c’est la première chose qu’on a faite. J’avais le terrain, mon père avait des abeilles quand j’étais gosse et on venait toujours faucher ici. Il y a un petit ruisseau magnifique.

I. C. On le voit serpenter…

P.-Y. G. Il est juste assez grand pour couler toute l’année. Il nous donne un petit chant, un petit murmure qu’on apprécie énormément, pas assez fort pour être méchant. Avant, c’était le chemin des chèvres qui passait par là ; les gens du village mettaient les chèvres en commun. Du reste, dans notre livre de lecture, il y avait les chèvres de Praz-de-Fort, un petit texte écrit par Rambert, je crois…

I. C. Praz-de-Fort, c’est le village où l’on est…

P.-Y. G. Voilà, dans le Val Ferret ; un petit patelin assez préservé et qui n’a pratiquement pas changé depuis que j’étais gosse, depuis les années 50-60 — à part le plateau de Saleinaz avec sa moraine qui coupe la route au glacier de Ferret. Elle a formé un petit plateau derrière elle, très apprécié par les premiers touristes, des Neuchâtelois. Je me souviens des Neuchâtelois, des Genevois, des « Étienne », des « Rambert », des « Dubiés ». On a même eu un Max Petitpierre, ancien conseiller fédéral, des gens qui avaient le goût de la montagne, avec les pantalons de golf, les chaussettes rouges, le petit sac, le chapeau tyrolien, l’edelweiss, le rhododendron sur le sac à dos : la panoplie complète… Mais c’étaient vraiment des amoureux de la montagne. Ils randonnaient dans tous les coins et on se demandait ce qu’ils avaient à courir par là à travers… On était gosse, on ne savait pas ! Maintenant, on comprend bien… Là, il y a un peu de vent… Si on veut l’avoir plus fort, il faut mettre des cailloux dedans, comme ça il fait encore plus de bruit. Voilà, il est juste réglé comme il faut… Donc, oui, la première chose qu’on a faite en arrivant ici, c’est de construire la maison, Marlis et moi. On a laissé faire le terrassement, la charpente, et puis après on s’est attelés aux parois, à l’isolation…