PROUST-KAFKA-JOYCE

 

Traduit de l'anglais par Arnaud Pelletier
 

Auto-bio-graphie.

 

« PROUST-KAFKA-JOYCE » : l’ordre indiqué par le titre de la
conférence que prononce Elias Canetti en août 1948, au
Bryanston College, n’est pas celui dans lequel il présente
d’abord les trois écrivains. Canetti aborde en effet, pour commencer,
Proust, puis Joyce et enfin Kafka comme illustrant chacun l’une des trois
préoccupations essentielles de l’homme. Il caractérise celles-ci par une
orientation de la conscience aux trois extases du temps : le passé, le présent
et le futur. De ce point de vue, Marcel Proust est l’écrivain de l’intelligence
du passé, James Joyce celui du flux du présent, et Franz Kafka
celui de l’angoisse des futurs. Ces trois points de fuite de la conscience et
du temps permettent non seulement de penser ensemble les trois écrivains,
mais de les ordonner selon l’incertitude croissante portée par leur
préoccupation : le passé est un abri des souvenirs recueillis, le présent est
un sol aux fissures imminentes, le futur est l’espace des destructions à
venir.

Ce n’est cependant pas ce point de vue, plutôt commun, des dimensions
du temps que retient Elias Canetti pour penser ensemble les trois
écrivains, mais leur réel point commun, à savoir « le caractère autobiographique
d’une grande partie de leur oeuvre ». Or, c’est un caractère que
partage également l’oeuvre de Canetti, même à l’époque de la conférence.
Il y a ainsi comme une parenté secrète entre le conférencier et ceux dont il
parle, et surtout une manière vécue, de cette vie enfin vécue, de poser le
problème de l’autobiographie. Le problème pour Canetti n’est pas tant de
comprendre la place de la vie dans l’oeuvre, et moins encore de comprendre
la vie comme une introduction à l’oeuvre, à la manière de ces biographies
hâtives, mais de saisir comment une oeuvre a pris place dans une
vie. La préoccupation centrale de l’écrivain n’est pas d’abord celle de son
héritage, du moment présent ou à venir, mais elle celle de la mise à distance
de soi-même qui permettra de préserver sa substance — qu’il faut
comprendre indissociablement comme substance vitale et substance narrative
— et qui permettra peut-être de la métamorphoser en oeuvre d’art.