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Jusqu’au milieu du XIXe siècle (et sait-on depuis combien de centaines d’années ?), le nom de Marghera n’eut d’autre significa- tion que géographique : de géographie physique1. Il indiquait, plutôt qu’un village, une « localité » située au seuil de la lagune de Venise, précisément à l’extrémité de terre ferme qui a face à elle un vaste miroir d’eaux tranquilles, le groupe insulaire de Venise et la ville merveilleuse qui s’y élève. Non pas une terre vivante, mais un littoral, découpé et marécageux, s’étendant entre la pointe San Giuliano, qui est une avancée de la côte de Mestre, et Lista Fusina, qui est la cuvette où le Canal du Brenta se jette et meurt dans la lagune.
L’eau salée rongeait inlassablement les bords des bancs de sable et des dunes qui s’enchaînent devant le rivage ; elle s’insi- nuait à l’intérieur des terres avec les marées hautes, par mille petits canaux et ruisselets, brûlait les herbes qui y poussaient par germi- nation spontanée. Seules résistaient quelques grandes touffes de roseaux ; elles mettaient une touche de couleur dans ces solitudes désertiques. Les moustiques et les fièvres y régnaient sans partage.
On comprend qu’une telle contrée ait franchi le temps, tout le temps de Venise et d’avant Venise, sans laisser aucun signe visible dans l’histoire. Tout ce qu’on peut en dire est qu’elle servit aux anciens Vénitiens de port douanier et, à l’occasion, militaire : un petit port naturel, sans équipement particulier, avec seulement un ouvrage fortifié, à l’est de San Giuliano, là où se détachent à pré- sent les deux ponts traversant la lagune.